Historique Service des Eaux avant 1876
COPIE DU MEMOIRE REDIGE PAR CASIMIR ARENE EN 1872
MÉMOIRE

POUR

LES TROIS COMMUNES DE SOLLIÈS-PONT, SOLLIÈS-VILLE ET SOLLIÈS-FARLÈDE

CONTRE

Le sieur BRUN, entrepreneur et la commune d'Hyères

PAR

M. ARÈNE Casimir,

Ancien Avocat, Propriétaire aux terroirs de Solliès-Pont et Solliès-Ville, et ancien
Président de la Commission des eaux de Solliès-Pont.


TOULON
IMPRIMERIE & LITHOGRAPHIE F. ROBERT
Boulevard de Strasbourg, 56.

1872

 


OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES

Des raisons de santé m'ayant obligé en 1833 d'abandonner momentanément le barreau, j'acceptai les paisibles fonctions de juge de paix à Solliès-Pont mon pays natal, que je quittai en 1838 pour revenir à Toulon.
Pendant ces cinq années, je prenais vraiment plaisir à admirer le terroir de Solliès-Pont et de Solliès-Ville, mais surtout la riante vallée de Gapeau, dont j'étudiais le cours jusqu'à Belgentier. Toutes mes pensées en arrivaient à payer un respectueux tribut d'hommages à la profonde sagesse avec laquelle nos pères avaient su si bien utiliser ce modeste cours d'eau, au moyen de nombreuses écluses, faisant marcher de nombreuses usines, papeteries, moulins à blé, moulins à huile, moulins à plâtre, scieries, blanchisserie, et ce, en rendant toujours les eaux, soit à la rivière, soit à l'arrosage des terres.
On a vanté bien souvent les systèmes d'irrigation pratiqués en Espagne, mais il est impossible, me disais-je, que l'on ait pu dans ce pays exploiter avec plus d'intelligence et d'utilité un modeste cours d'eau pareil au nôtre.
Ces études m'ont permis de rendre quelque service pour la conservation de cet ingénieux régime et cette habile répartition des eaux de Gapeau, en rédigeant rapidement, de mémoire, et en quelques heures, les observations et mémoire à M. le Préfet du Var, contre le quartier de Guiran, imprimé à Toulon en 1858 (E. Aurel, imp. lith.).
Une entreprise bien plus dangereuse menace aujourd'hui de bien plus grands bouleversements, cette sage répartition des eaux que j'ai toujours considéré comme un chef-d'oeuvre de la sagesse et de la constance de nos pères : malgré l'âge avancé, je vais encore essayer de la défendre une dernière fois avec l'espérance que cette fois encore, pas plus qu'en 1858, le gouvernement ne permettra d'y porter la moindre atteinte, car ce serait une véritable profanation.

Casimir ARÈNE,
ancien avocat.

MÉMOIRE
POUR

LES TROIS COMMUNES DE SOLLIÈS-PONT, SOLLIÈS-VILLE ET SOLLIÈS-FARLÈDE
CONTRE

LE SIEUR BRUN & LA COMMUNE D' HYÈRES

Les intérêts agricoles et industriels et par suite la paix publique sont gravement menacés dans les trois communes de Solliès-Pont, Solliès-Ville et Solliès-Farlède, et même dans la commune d'Hyères
Il s'agit de prévenir une immense perturbation; à cet effet, il suffira, nous l'espérons, d'éclairer et de prémunir l'autorité supérieure contre des manoeuvres et des entreprises inqualifiables, d'autant plus dangereuses, que le succès, impossible pourtant selon nous, en amènerait à coup sûr la reproduction en bien d'autres lieux ; manoeuvres et entreprises à la faveur desquelles le sieur Brun, de concert avec le sieur Nègre et appuyé cette fois sur la municipalité d'Hyères, voudraient nous enlever des eaux qui depuis des siècles contribuent à l'arrosage déjà si insuffisant de nos 411 hectares de terres arrosables, et à la marche de nos belles et nombreuses usines; et en outre à l'arrosage de deux à trois cents hectares dans les terroirs de La Crau et de la commune d'Hyères.
Les eaux sont, en effet, de nos jours, un objet de convoitise universelle. Les possesseurs sont trop souvent menacés dans leur possession par la spéculation; le gouvernement, loin de faciliter ces déplacements et ces bouleversements, ne saurait procéder avec trop de réserve et de circonspection, lors, surtout que, comme dans l'espèce, les eaux convoitées reçoivent une destination d'utilité si générale, qu'il est radicalement impossible de les mieux utiliser.


FAITS

Le 12 fevrier 1839 une ordonnance royale autorisa M. Teissier à établir sur le cours de Gapeau près de Solliès-Toucas un pont et un barrage ou écluse pour, au moyen des eaux dérivées, mettre en jeu un moulin à blé, à charge de rendre les eaux à la rivière à 287 mètres 20 centimètres de distance du barrage.
Pour apprécier le résultat de ces travaux sur le cours naturel des eaux de la rivière, il est nécessaire d'exposer brièvement quelques observations.
En remontant de l'usine Nègre, vers Belgentier, la vallée va toujours se resserrant, le Gapeau est à peu près un torrent à pente et avec des sinuosités très prononcées, aussi, sur un parcours d'environ 5 kilomètres, peut-on compter 8 barrages ou écluses plus ou moins élevés. Il faut remarquer que le cours des eaux attaque de préférence la rive gauche, où pour maintenir certains ouvrages et notamment la route départementale, il a fallu des murs de soutènement et de défense assez élevés ; les anciens lits comme les graviers et les terres d'alluvion se trouvent donc sur la rive droite où l'on voit aussi des masses de tufs poreux et crevassés, se laissant comme les graviers eux-mêmes facilement traverser par les eaux
N'est-il pas certain que les sept barrages supérieurs à celui de M. Nègre, et celui-là aussi, ont dû nécessairement altérer profondément le débit des eaux de la rivière, que ces eaux ainsi violentées par les écluses et les nombreuses sinuosités ont dû au moins à chaque barrage s'extravaser en partie, traverser les masses de tuf, les graviers et les terrains d'alluvion déposés au fond de son ancien lit et sur les bords de son lit actuel, suivre souterrainement la pente de la vallée et revenir inférieurement au lit de la rivière, d'où ces nombreux barrages supérieurs les avaient extravasées.
On n'a pas oublié dans la contrée, qu'avant le barrage Nègre, peu en dessus, comme en dessous de son fond et sur plusieurs points, de nombreuses infiltrations revenaient à la rivière, et contribuaient puissamment à alimenter la première écluse (de la ferrage) et aussi la grande écluse dite de Messieurs.
Depuis la construction du barrage Nègre ces infiltrations ont disparu, mais les eaux revenaient à la rivière par le canal de fuite du nouveau moulin.
L'état des choses va complètement changer, M. Teissier fait construire son écluse et son pont et comme les crues avaient emporté son premier pont et sa première écluse, il dut, en les reconstruisant, creuser d'autant plus profondément leurs fondations, ainsi que celles de leurs épaulements que, par mesure de précaution, il dut prolonger très avant à travers les terres sur les deux rives.
Là ne se bornèrent pas les travaux, M. Teissier fit creuser transversalement à la vallée une profonde tranchée sur une longueur d'environ 80 à 90 mètres et dût nécessairement relier aux épaulements de son écluse les profondes fondations des murs de soutènement de cette tranchée
Est-il besoin de se demander en l'état de tous ces travaux ce que pouvaient devenir les eaux provenant des extravasions produites par les 7 à 8 écluses supérieures existant comme nous l'avons dit sur un parcours d'environ cinq kilomètres, et ce que pouvaient devenir toutes les diverses infiltrations à travers les graviers, les tufs crevassés, etc. Toutes ces eaux furent arrêtées par le barrage, par les épaulements et par la longue et profonde . tranchée transversale. Le cours des eaux souterraines de la rivière fut intercepté ; les eaux s'accumulèrent en amont de ces travaux et finirent enfin par se créer une nouvelle issue pour reprendre leur ancien cours et revenir à la rivière, non plus comme autrefois sur divers points, mais par le canal de fuite du moulin (1).
C'est ainsi que fut créée la prétendue source Nègre. Nous trouverons ci-après dans certaines clauses de l'acte du 2 mai 1870, par lequel le sieur Nègre a vendu sa prétendue source au sieur Brun, clauses dont nous transcrirons les termes littéraux, la confirmation de cette induction; pour réduire à zéro la prétendue source, il suffirait de pratiquer au dessus une tranchée pareille, toujours transversalement à la vallée, et à une profondeur suffisante il y a certitude, que l'on couperait et que l'on arrêterait toutes les eaux, et c'est ce que les trois communes intéressées ne manqueront pas de faire si, chose toutefois improbable, on leur en fait une nécessité, les propriétaires des jardins et des terres arrosables de La Crau et d'Hyères, joindraient sans doute leurs efforts aux nôtres pour réaliser ce résultat, et dans ce cas quel profit retirerait la ville d'Hyères de son aventureuse et énorme dépense?
Poursuivons : M. Teissier, ruiné par la création de son usine, fut exproprié par M. Gautier, son créancier, qui s'en rendit adjudicataire et offrit peu à près de vendre à la commune de Solliés-Pont, au prix de trois mille francs, les eaux de cette prétendue source ; la municipalité, convaincue que ces eaux n'appartenaient pas à l'usine, mais à la rivière, et que M. Gautier n'en avait que l'usage déterminé par l'ordonnance royale précitée, refusa de les acheter. M. Gautier continua donc de rendre par le canal de fuite toutes les eaux à la rivière.
Quelque temps après M. Gautier revend l'usine à M. Nègre père, les choses restent en l'état; devenu minotier après la mort de son père, M. Nègre, ne se contente pas du moulin acquis à bonnes conditions (M. Aubert de la Castille, nous a assuré, avoir refusé d'acheter de M. Gautier au prix de onze mille francs,) M. Nègre, disons-nous, exalte sa prétendue source, bat et fait battre la grosse caisse partout à l'effet d'en vendre les eaux : Toulon d'abord, renseigné sur la nature et la provenance de ces eaux reconnues de même nature que celles de Gapeau, refuse de les acheter. Le chemin de fer, après bien des tâtonnements, les refuse aussi; enfin la commune de Solliès-Pont, dans l'intérêt de la paix publique, pour prévenir des conflits et des. procès dispendieux, se décide à. mettre un terme à toutes ces agitations, car l'opinion vivement émue dans nos campagnes par suite des années de sécheresse que nous venions de traverser, et de l'extrême pénurie d'eau qui en était résulte, redoublait d'inquiétude, en apprenant de temps à autre que M. Nègre cherchait à vendre les eaux soit au chemin de fer, soit au sieur Brun et Maurel de la ville d'Hyères ; A l'effet donc de calmer, de rassurer toutes ces vives et profondes émotions, comme aussi pour prévenir des complications, des conflits, dispendieux devant l'autorité administrative et judiciaire, la commune de Solliès–Pont achète de M. Nègre toutes les eaux qui peuvent traverser ou naître sur son fond au prix de vingt mille francs. Le conseil municipal et les plus forts imposés sont convoqués pour délibérer sur un emprunt au crédit foncier de trente mille francs, dont vingt mille pour l'achat Nègre et dix mille pour couvrir un arriéré de pareille somme.
Dans une première réunion, les plus forts imposés trouvèrent l'emprunt de 30 mille francs exagéré, toutefois la délibération fut renvoyée à quinzaine on voulut sans doute pressentir l'opinion publique, qui plus émue et plus inquiète que jamais, manifesta le désir d'en finir une fois pour toutes, et de s'assurer des eaux d'une manière absolue et définitive; l'emprunt de vingt mille francs seulement et l'achat des eaux, quelle que fut leur provenance, furent donc autorisés dans une seconde délibération.
Ici nous devons répondre à deux objections qui nous ont déjà été faites ; la première n'est pas fameuse : ces eaux litigieuses ne vous sont pas si nécessaires puisqu'on vous les a offertes et que vous les avez refusées, nous répondons : elles nous sont si nécessaires, si indispensables que nous les avons achetées et que nous les aurions payées, bien que nous soyons tous convaincus que ces eaux, loin d'être la propriété de M. Nègre, sont une dépendance de la rivière et comme telles, appartiennent aux usagers des trois communes ; et que la réunion des plus fort imposés n'avait fait, en achetant, qu'assurer la paix publique, prévenir des complications et consentir dans cette pensée un sacrifice accepté de la population.
Voici la seconde objection : elle détruit pour ainsi dire la première, puisque vous avez acheté les eaux, vous avez reconnu les droits et la propriété de M. Nègre sur ces eaux.
Les raisons qui ont déterminé ce marché sont brièvement exposées ci-dessus ; assurer avant tout l'arrosage quoique insuffisant de nos 411 hectares et des jardins de Solliès-Pont et rassurer les 630 propriétaires qui les possèdent, assurer aussi l'alimentation de nos fontaines, qui pendant les trois mois d'été, juillet, août et septembre, ne peuvent se passer des eaux souterraines bouleversées encore par les nouvelles fouilles de M. Négre ; sauvegarder la salubrité publique pour la population de Solliès-Pont si rudement éprouvée par le choléra de 1865. C'étaient là de puissantes considérations qui naturellement conseillaient l'espèce de transaction intervenue entre M. Nègre et la commune de Solliès-Pont, l'intérêt de la salubrité publique à lui seul aurait commandé le sacrifice. Gapeau, en effet, traverse la commune du nord au sud, son lit au nord et au sud est contenu par deux écluses, la nappe d'eau presque stagnante formée par la seconde écluse est bien au centre de l'habitation et reçoit les résidus des importantes tanneries Gence et Boyer, si on enlève les eaux de la rivière, il y aura donc au centre du pays un foyer d'infection. Il fallait donc, de manière ou d'autre, prévenir une si dangereuse éventualité,et moyennant le sacrifice de vingt mille francs tous ces grands intérêts étaient sauvegardés
Mais qu'arrive-t-il ? Dans l'intervalle des deux délibérations : Le sieur Brun arrive-t-il de Wuissons, son domicile (Seine-et-Loire), sur les brisées de la commune ? Non ! il envoie sa procuration au sieur Roux. M. Nègre est circonvenu et se résigne à vendre au sieur Roux, mandataire du sieur Brun, ces mêmes eaux qu'il a déjà vendues, par acte sous-seing privé à la commune de Solliès-Pont,et cela sans sommation ni mise en demeure, sans la moindre formalité, sans même prévenir le maire avec lequel M. Nègre a traité.
M. Nègre devait pourtant s'estimer très heureux d'obtenir vingt mille francs dans de telles conditions,mais les deux spéculateurs Roux et Brun lui ont offert dix mille francs de plus. L'acte passé, ils se hâtent de faire enregistrer et transcrire de manière que notre acte privé ne peut aujourd'hui leur être opposé.
M. Nègre était si peu assuré de ses droits sur les eaux qu'il vendait deux fois à deux acquéreurs différents, qu'il exige expressément dans le second acte que les sieurs Brun et Roux soient chargés à leurs périls et risques de tous les procès et sans doute des dommages-intérêts auxquels à tout événement M. Nègre ne pourrait échapper. Mais M. Nègre peut-il dormir tranquille et faire grand fond sur cette garantie et la solvabilité de l'acquéreur ? Nous examinerons bientôt l'acte du 2 mai 1870 constatant cette vente : M. Nègre ne viole-t-il pas la condition essentielle imposée à sa concession de rendre les eaux à la rivière ? Cette concession ne doit-elle pas être révoquée par le pouvoir souverain qui l'a octroyée ? Nous faisons toutes réserves expresses de nous pourvoir à cet effet devant l'autorité compétente.
Le spéculateur et consorts se mettent immédiatement à. l'oeuvre, ils tentent de former une compagnie pour l'exploitation de l'entreprise, publient des prospectus imprimés et le tarif de leurs concessions futures aux particuliers, font publier le tout à son de trompe dans plusieurs communes, ils parviennent à trouver quelques rares abonnés, voilà tout.
Mais comme les administrations précédentes de la ville d'Hyères, qui ne le cédaient en rien en intelligence et en dévouement à l'administration actuelle, avaient toujours repoussé l'extravagant et ruineux projet de conduire à Hyères ces eaux qui y arrivent déjà par le canal, comme nous le prouverons jusqu'à l'évidence, projet considéré par la partie saine et intelligente, nous pourrions dire par la majorité de la population, comme inutile, aventureux, ruineux, sans résultat profitable, les spéculateurs reportèrent leurs espérances vers des temps meilleurs. Un peu de chantage n'en continua pas moins, et quelques articles sur Hyères , résidence d'hiver , tentèrent de faire mousser un peu l'affaire.
Ces temps leur paraissant venus, ils ont remis l'affaire sur le chantier, appuyés cette fois sur la majorité de deux voix dans le conseil municipal (présents 18 conseillers : 10 voix pour, 8 voix contre). Ils vont solliciter un décret d'utilité publique, et l'autorisation d'exécuter les travaux nécessaires par voie d'expropriation aux termes de l'article 2 de la loi du 3 mai 1841. Examinons ce projet :
Nous sommes ici obligés de faire une rapide incursion dans les affaires de la ville d'Hyères, mais seulement ,bien entendu,dans le but d'éclairer le gouvernement protecteur né des grands intérêts généraux, et ce, concurremment avec de nombreux et très intelligents notables de cette ville.
Le sieur Brun, acquéreur de la prétendue source, est domicilié à Wuissons (Seine-et-Oise), c'est de Paris qu'il envoie sa procuration notariée au sieur Roux pour traiter avec le sieur Nègre, l'acte du 2 mai 1870, dans lequel Roux agit comme mandataire de Brun, porte que le prix total de 30 mille francs sera payé au plus tard dans les trois mois, à dater du 2 mai 1870, et nous trouvons dans l'acte du 22 août 1870, que le sieur Roux n'a payé que cinq mille francs. Le prix a-t-il été soldé? nous l'ignorons, mais le fait mérite un sérieux examen. Les 25 mille francs restant seront-ils payés des deniers de la commune ?
La commission, du conseil municipal, chargée d'étudier l'affaire, a dû préalablement demander communication de l'acte de vente de la prétendue source ; elle y aura sans doute lu cette clause extraordinaire, insolite de la part d'un vendeur qui, en règle générale, doit toujours garantir l'objet qu'il vend, lors surtout qu'il vend à une commune.
« La vente faite par M. Nègre, est-il dit dans l'acte de vente du 2 mai 1870, est consentie sans garantie de sa part autre que celle des droits qu'il a sur la source en vertu des titres de propriété sus-énoncés, droits qu'ils transmet simplement à l'acquéreur sans garantie du débit actuel et futur de ladite source, M. Nègre n'entendant être recherché en rien par suite n'importe quel prétexte et par qui que ce soit, M. Roux obligeant son mandant à relever et garantir M. Nègre de tout recours, frais et déboursés. »
Et plus bas : "M. Nègre s'interdit en outre de démolir son écluse".
Que signifient ces deux clauses? Le bout de l'oreille ne perce-t-il pas ici? Ne pourrait-on pas dire que c'est la nimia precautio du jurisconsulte romain? Elles prouvent évidemment que l'un ne veut pas garantir les eaux qu'il a vendues, et qui ne sont- autres que les eaux de Gapeau que l'on pourra facilement couper et ramener à la rivière, et que celui qui les a achetées défend qu'on démolisse l'écluse Nègre qui contribue à emprisonner les eaux latérales de la rivière et à en créer une prétendue source, voilà les deux innocents créateurs de cette prétendue source, ces deux clauses nous serviront puissamment à obtenir la démolition de l'écluse Nègre.
M. Brun, domicilié à Wuissons (Seine-et-Oise), n'est pas à coup sûr un riche capitaliste ; au terme convenu, expiré, il n'a pu payer qu'un acompte de cinq mille francs ; voudrait-il embrouiller sa spéculation dans une société anonyme et mettre en circulation de nombreuses actions pour le mieux de ses intérêts et pour mieux bouleverser la contrée ? Nous serions tentés de le croire, car une voix dans le conseil municipal a recommandé de ne pas effrayer les capitalistes et le sieur Brun n'est sans doute pas à Paris seulement pour faire une procuration notariée au sieur Roux.
Nous verrions alors se renouveler l'affaire du Bagas et M. Brun, ni la ville d'Hyères n'ignorent que malgré tout, le décret d'utilité publique n'est pas si facile à obtenir quand i1 s'agit seulement de déplacer des eaux parfaitement utilisées.
Et c'est pour des eaux si incertaines, auxquelles vendeur et acquéreur n'ont pas même confiance, que la ville d'Hyères s'imposerait les sacrifices énormes dont nous allons parler.
Nous savons d'abord qu'il a été question de douze mille francs à titre d'encouragement, de 45 mille francs pour prix de la source et frais d'acte, d'une subvention annuelle de 60 mille francs pendant cinquante ans, moyennant quoi, Brun s'obligerait à conduire à Solliès-Farlède toutes les eaux Nègre, soit environ 12 mille mètres cubes d'eau par 24 heures, dont Brun en réserve pour lui 8 mille mètres à la Farlède, parce qu'il s'appelle Brun, et 4 mille qu'il devra rendre à Hyères à la place St-Paul, dont encore 500 mètres pour les besoins municipaux et 3,700 pour être vendus aux arrosants de concert avec la commune.
Si les finances de la ville d'Hyères étaient dans un état florissant, on concevrait à peine qu'en l'état des deux clauses de la vente précitée et de l'incertitude sur la nature et la propriété des eaux, elle put s'aventurer, coopérer et prêter la main à une entreprise pareille, car M. Nègre sait très bien, et tous les ingénieurs qui ont visité les points d'émergence des eaux ont constaté qu'elles peuvent être coupées, et elles le seraient même avant la fin des travaux, quelle serait dans ce cas la garantie offerte parle sieur Brun pour assurer la fidèle exécution de ses obligations?
Nulle part nous n'avons entendu parler du moindre cautionnement de sa part, en numéraire ou en hypothèques sur des immeubles sûrs et solvables.
L'eau venant à manquer, les trois quarts de la dépense réalisée seraient une perte sèche pour la ville d'Hyères.
Même dans le cas où l'entreprise s'annoncerait sous des auspices plus favorables, conviendrait-il à cette ville, vu ses embarras financiers, de s'y aventurer ?
L'énorme subvention annuelle de 60 mille francs pendant 50 ans resterait à peu près toute entière à sa charge, car elle ne peut guère compter sur le débit aux particuliers d'eau, qu'ils trouveront nécessairement trop chères, on a beau calculer, ce sera toujours de 2 à 3 millions qui sortiront partiellement et annuellement, il est vrai, de la bourse des habitants, ne faudra-t-il pas ensuite canaliser et créer les conduites pour les fontaines projetées, construire, édifier ces fontaines et toutes ces énormes dépenses, lorsque la ville a déjà un passif de 533 mille francs, que son dernier budget se solde par un déficit de 29 mille francs, que les habitants payent déjà 42 centimes additionnels, et sont tellement accablés, écrasés de taxes et de surtaxes d'octroi que diverses agglomérations ne négligeront rien pour se séparer de la commune et faire cause à part, et elles auront parfaitement raison.
Lorsqu'en outre enfin, pour la translation urgente, inévitable de son cimetière, et les avenues et autres travaux accessoires aux gares des chemins de fer que la loi met à la charge des communes, cette même ville aura à faire encore et sous peu des dépenses très considérables.
Vraiment, l'imagination la plus intrépide recule forcément devant une telle entreprise, lorsque, au point de vue seulement des intérêts de la ville d'Hyères, il est certain :
I ° Qu'elle annihilerait l'arrosage des terres de La Crau, des beaux jardins et des terres arrosables de la ville d'Hyères.
2° Qu'elle annihilerait aussi, du moins pendant l'été, la force motrice des beaux moulins à blé de cette ville qui en a racheté si sagement, mais si chèrement la bannalité.
3° Lorsqu' enfin Nègre vendeur n'a pas voulu garantir le débit de la source et pour cause, et qu'au dire de tous les ingénieurs qui ont visité les lieux, la prétendue source peut être coupée au moyen d'une simple tranchée en amont du fond Nègre, sur les terres que la commission générale des eaux de Solliés-Pont et de Solliès-Ville a achetées depuis près de 15 ans.

(1) Marseille, renonçant aux flots troubles et terreux de la Durance, a le projet de réunir les eaux épurées des infiltrations latérales de cette rivière pour les amener à Marseille au lieu et place des eaux actuelles, et il s'agit ici de 4 mètres cubes d'eau par seconde...

Fontaines de la ville d'Hyères

Examinons un instant les ressources en eaux potables que possède actuellement la ville d'Hyères, eaux qui ont suffi jusqu'ici aux besoins de la population, et demandons-nous si dans tous les cas, un simple appoint ou supplément aux eaux actuelles, que l'on pourrait se procurer à fort peu de frais, ne suffirait pas et largement aux besoins réels de la population.
Hyères possède actuellement 5 fontaines alimentées par la mère source dite l’Ermitage 1° celle des Palmiers,2° du Portalet, 3° de la Gavotte, 4° de la place de la Rade et 5° du Bon Puits. N'oublions pas le trou de Peyron si rapprochée de la ville, source qui débite l'hiver un volume de 5 à 6 centimètres de diamètres et l'été de 3 à 4 centimètres.
Il y a en outre le Bon Puits qui, de mémoire d'homme, n'a jamais manqué d'eau, le puits qui se trouve dans l'avenue du repos au-dessus du cimetière et qui pendant l'été est très utile à ce quartier.
Dans la vallée derrière le château, la source appelée l’Umine fournit l'eau aux habitants de la haute-ville pendant les années de grande sécheresse, ou si, pour cause de réparation, la roue élévatoire ne fonctionne pas.
Enfin, en eau non potable, mais très utile à tous autres besoins domestiques, le canal en fournit surabondamment, et s'il était bien entretenu, si surtout on faisait à l'écluse établie au confluent du Petit Réal et de Gapeau les réparations dont elle a un besoin urgent, on pourrait sans inconvénient en dévier un fort volume au dessus de l'usine à Gaz, l'amener à la roue élévatoire, la rendre aisément potable au moyen d'un filtre peu compliqué, ces eaux n'étant que des eaux déjà filtrées à travers nos terres arrosables, et faire couler ainsi de nombreuses fontaines.
Telles sont d'après des renseignements que nous devons croire exacts les ressources actuelles de la ville d'Hyères.
Admettons cependant qu'elles sont insuffisantes, bien que la population s'en soit contentée jusqu'ici : faut-il pour combler cette insuffisance, amener à Hyères par monts et par vaux une rivière toute entière ? Un simple appoint ou supplément en eaux potables que l'on peut rendre très abondant, et comparativement à très peu de frais, ne suffirait-il pas largement aux vrais besoins de la population? et ce, sans déplacer des eaux qui reçoivent même à Hyères une destination d'utilité bien plus générale, mais en y employant des eaux qui ne servent à rien. -
Qu'il nous soit permis à cet égard, toujours dans l'unique but d'éclairer le gouvernement de donner quelques indications .
La montagne de Coudon est très riche en eaux ; il a suffi- à 1a commune de la Garde, de creuser une modeste tranchée un peu au dessus du fond Morizot pour amener dans cette commune l'eau qui alimente une fontaine à 4 tuyaux et qui pourrait en fournir à six tuyaux.
Sur un autre point peu éloigné du premier, M. Sanson, par ce moyen, a créé une assez belle fontaine au château de son épouse.
Des fouilles autrement importantes et mieux dirigées par des "hommes de l'art fourniraient des eaux plus que suffisantes à ces nouvelles fontaines ; n'en voit-on pas de nombreuses aux campagnes qui longent précisément la route d'Hyères à Toulon, à Château-Redon appartenant à M. Madon avocat, au château des hoirs Morizot, et à d'autres campagnes inférieures, n'y a-t-il pas des eaux jallissantes, à un niveau bien suffisamment élevé et sans que la main de l'homme y ait trop contribué.
Dans la plaine au dessus comme au dessous de Solliès-Farlède, n'y a-t-il pas une nappe d'eau considérable ? La Fontone, dont le nom indique la présence de l'eau, est encore sur les bords de la route départementale de La Farlède à Hyères. Les fontaines de Jérusalem, la Font des Fabres, ne prouvent-elles pas la présence de l'eau partout dans cette plaine dont l'inclinaison assez prononcée se dirige précisément vers Hyères ; n'est-on pas sûr de trouver sur ces divers points l'eau à une altitude suffisante pour alimenter les nouvelles fontaines projetées.
Signalons aussi la belle source de M.Thomas au terroir de La Garde qui arrose actuellement 4 à 5 hectares, et qui ne coûterait certainement pas trop cher.
Enfin sur des points plus rapprochés, au quartier du Gré, propriété Riondet, se trouve l'ancien lit de Gapeau très riche en eau, et la source Trou de Peyron dont nous avons déjà parlé, on pourrait facilement, au moyen d'une roue élévatoire, créer et alimenter de nouvelles fontaines qui ne coûteraient pas le quart de l'entreprise Brun.
Devons-nous signaler aussi les sources de Flayosc qui suffisent à faire marcher sur un point inférieur un moulin à blé : Là il y aurait surabondance d'eau, mais l'inconvénient d'altérer le débit du canal actuel de la ville d'Hyères, mais comme d'ailleurs le projet présente à un degré bien plus élevé ce même inconvénient, bien mieux vaudrait encore conduire à Hyères les eaux de Flayosc, on économiserait au moins la moitié du parcours et plus de la moitié de la dépense, les propriétaires pour conserver leur arrosage, loin d'être récalcitrans se montreraient bons princes et très conciliants.
La ville d'Hyères peut donc se procurer facilement l'appoint ou supplément en eaux potables largement suffisantes aux besoins de sa population, sans aller quérir ces eaux si incertaines à 15 kilomètres, avec des frais énormes et sans bouleverser la vallée de Gapeau depuis Solliès-Toucas jusqu'à l'extrémité méridionale des terres arrosables de la commune d'Hyères.
Jetons un rapide coup d'oeil sur le côté dommageable de la spéculation Brun, et du projet des fontaines d'Hyènes.
Voici la série des dommages et des résultats désastreux que l'entreprise entraînerait inévitablement :
1° Les fontaines publiques de Solliès-Pont, en possession d'une partie des eaux convoitées n'en débiteraient plus pendant l'été la quantité nécessaire aux besoins de la population ;
2° Le lit de Gapeau serait à peu près mis à sec sur une assez vaste étendue et notamment sur la partie qui est au centre de la ville de Solliès-Pont que la rivière traverse du nord au sud ; le peu d'eau qui resterait, contenue au nord par l'écluse Ventre, au sud par l'écluse Sochet, entre lesquelles sont rejetés les résidus des importantes tanneries Gence et Boyer, formerait au centre même de la ville un véritable foyer pestilentiel, dangereux au premier chef pour la santé d'une population d'environ trois mille habitants : malheur à cette population si ce projet venait à se réaliser même partiellement. — Le choléra foudroyant de 1865 n'est-il pas encore présent à la mémoire de tous? En 48 heures, 58 personnes foudroyées, mortalité d'une année, en huit jours mortalité de deux années ; le second jour, arrivée du Sous-Préfet annonçant l'envoi de trois médecins de première classe de la marine; le troisième jour, arrivée de dix forçats pour l'enterrement des cadavres entassés au cimetière : notons que, dès le second jour, il ne restait pas à Solliés plus de 200 habitants ; tout le reste, 19 conseillers sur 21 avaient fui épouvantés (2).

(2) Je tiens ces renseignements, en quelque sorte officiels, de M. Dollieule, lieutenant de vaisseau en retraite, dont je connaissais la belle conduite et le courageux dévouement dans ces circonstances calamiteuses : simple conseiller municipal, il sut prendre résolument en mains les rênes de l'administration, et au moyen d'un emprunt contracté personnellement, de concert avec un autre citoyen, organiser et assurer tous les services publics.

Veut-on connaître les causes qui ont rendu ce choléra si exceptionnellement meurtrier ? Le rapport de la commission médicale présidée par le Sous-Préfet, celui rédigé par les trois médecins de première classe de la marine s'accordent à affirmer que ces causes sont : la rivière, le peu d'eau qui s'y trouve pendant l'été, et à cette époque néfaste le cours de Gapeau n'avait pas subi la moindre altération ! Quels désastres l'habitation n'aurait-elle pas à redouter si la spéculation Brun et les projets de la ville d'Hyères venaient à se réaliser? Poursuivons :
3° Les eaux convoitées contribuent puissamment au fonctionnement de douze belles usines, dont la force motrice serait à peu près annihilée pendant les basses eaux, et nos six beaux moulins à blé, ont pourtant rendu et peuvent rendre encore de grands services pour les approvisionnements de farine aux armées de terre et de mer, comme lors des guerres de Crimée et d'Italie ; tout comme les six moulins à huile sont indispensables aux besoins agricoles de la contrée;
4° Les eaux convoitées contribuent en outre dans des territoires extrêmement morcelés, et ce depuis des siècles, à l'arrosage de nos 411 hectares de prairies, des jardins de Solliès, et notons même qu'en l'état, toutes ces terres arrosables souffrent énormément pendant les basses eaux ; consultez leurs 630 propriétaires, ils vous diront tous, que la moindre réduction de leurs eaux serait ruineuse pour eux ;
5° Enfin, ces eaux convoitées vont mettre en jeu les beaux moulins à farine de la villed'Hyères, et contribuent aussi à l'arrosage d'environ deux à 300 hectares aux terroirs de la Crau et d'Hyères et notamment à l'arrosage des beaux jardins de cette ville. Le projet Brun, s'il était réalisé, mettrait à peu près à sec pendant l'été le grand canal actuel, comme nous le prouverons séparément ci-après.
A côté de cette série abrégée de résultats désastreux pour nos trois communes, pour la Crau, et surtout pour la commune d'Hyères elle-même qu'entraînerait le déplacement des eaux convoitées, car ici, comme pour le Ragas, il ne s'agit que d'un déplacement d'eaux; placez par la pensée le projet fantaisiste d'aller chercher à 15 kilomètres environ et avec une dépensé énorme, des eaux qui arrivent déjà à Hyères depuis des siècles.
Et ce, pour donner à cette ville un appoint ou supplément en eaux potables qu'elle peut si aisément et à bien moins de frais se procurer sur dix points différents.

Utilité publique.

Marseille dérive de la Durance 4 mètres cubes d'eau par seconde, sans causer préjudice à personne ;
Cannes dérive de la Siagne 2 mètres cubes d'eau par seconde, mais son entreprise n'a que légèrement altéré la force motrice de quelques usines inférieures pendant les basses eaux seulement, leurs propriétaires qui avaient d'abord fait quelque opposition au projet s'en désistèrent.
L'on sait les immenses avantages que Marseille et même Cannes ont retirés de ces beaux volumes d'eau, amenés dans leur sein et sur leur territoire, on conçoit facilement que dans de telles conditions, l'utilité publique ait été décrétée d'autant plus indiscutable que ces travaux si utiles ne portaient préjudice à personne.
Le spéculateur Brun et la ville d'Hyères se trouvent-ils dans des conditions analogues ?
II s'agit de conduire à Hyères, non 4 mètres cubes, soit 4 mille litres par seconde comme Marseille, non 2 mètres cubes, soit 2 mille litres par seconde comme Cannes, mais 46 litres par seconde, soit 4,000 mètres cubes par 24 heures : sur ces 4, 000 mètres cubes, 500 mètres seulement seront affectés au service spécial des besoins municipaux.
Les 3,700 mètres cubes restant rentrent dans la spéculation Brun. En résumé, d'après le projet, on veut dériver 12 à 13 mille mètres cubes du cours de Gapeau, pour en consacrer 300 seulement aux besoins municipaux ; c'est environ le 1/40 des eaux dérivées. Les 39/40 restant constituent donc la spéculation; ce qui réduit l'eau employée aux besoins municipaux à environ 3 litres 1/2 par seconde, ajoutons que dans le projet on ne tient nul compte des eaux de toute nature que la ville possède actuellement.
Et c'est pour un si triste résultat que le sieur Brun et consorts, et la ville d'Hyères elle-même viendraient bouleverser toute la contrée, toute la vallée de Gapeau depuis Solliès-Toucas !
Et malgré ses embarras financiers signalés cl-dessus, la ville prêterait la main à une telle entreprise, et oserait s'aventurer dans les dépenses énormes que son exécution entraînerait bien au-dessus, comme d'habitude, des plans et devis sans doute dressés à cet effet
Le faible avantage d'avoir à Hyères quelques fontaines de plus, fontaines que l'on peut facilement trouver ailleurs et à bien moins de frais, est-il proportionné à la dépense, ruineuse surtout en l'état de ses finances, de ses 42 centimes additionnels, de ses taxes et surtaxes d'octroi et enfin aux perturbations, aux dommages si considérables de toute nature que nous venons de signaler ?
La négative nous parait si évidente, que nous en sommes convaincus, la ville d'Hyères renoncera à son funeste projet, que dans tous les cas, l'autorité supérieure lui refusera son concours et l'autorisation nécessaire, et que le Conseil municipal et les plus forts imposés, mieux renseignés, refuseraient au besoin de s'y associer.
C'est par l'état comparatif des avantages et des dommages résultant d'une entreprise qu'on peut élucider la question d'utilité publique.
Ici, la somme des dommages est immense, l'utilité insignifiante, presque nulle; que l'on se rappèle Nègre, vendeur, refusant de garantir le débit actuel et futur de sa prétendue source, et l'acquéreur lui interdisant de détruire son barrage ou écluse, que tous les ingénieurs ont affirmé que la prétendue source peut être coupée, que ces eaux sont identiques à celles de Gapeau, et tous seront plus qu'étonnés que la faible majorité de deux voix ait entraîné la ville d'Hyères dans une entreprise si aventureuse et si dispendieuse tout à la fois, majorité formée peut-être de quelques nouveaux débarqués qui, ne possédant rien à Hyères, n'auront guère à contribuer à la dépense.
Les privilèges sont de droit étroit, il faut bien se garder d'en étendre la portée ; le privilèges d'arracher à un père de famille malgré sa volonté une simple parcelle de son champ, est un privilège exorbitant contre le droit de propriété que le législateur a entouré de tant de garanties, ce privilège exorbitant, l'autorité ne doit l'accorder que dans des cas exceptionnels, et pour de grandes considérations d'intérêt public. Le savant jurisconsulte Pufendorfs, livre 8, chapitre 5, § 7, a résumé en quelques mots les principes de la matière.
« Il ne faut pourtant pas, dit-il, donner une trop grande étendue aux cas d'utilité publique, il faut en tempérer les privilèges AUTANT qu'il est possible par les règles de l'équité. »
A la faveur de ces principes et des considérations ci-dessus, nous avons la ferme. espérance que le gouvernement n'accordera pas aux entrepreneurs le décret d'utilité publique, que les eaux convoitées continueront, comme par le passé, d'être consacrées au mouvement de nombreuses usines, et à l'arrosage des terres des cinq communes qui en jouissent depuis des siècles; car l'oeuvre projetée, loin d'être une oeuvre d'utilité publique, serait une oeuvre de perturbation générale et de dommages publics.

Toulon, le 24 avril 1872

Casimir ARÈNE ,
Ancien Avocat, Propriétaire aux terroirs de Solliès-Pont et de Solliès-Ville,
Ancien président de la Commission des eaux de Solliès-Pont



Provenance des eaux qui alimentent l'écluse
et le canal actuel de la ville d'Hyères

Des allégations plus ou moins hasardées, mais toutes erronées paraissent avoir été lancées dans la population hyéroise et pour cause, et même dans le sein du conseil municipal ; on a dit : les eaux viennent de Mounache, qui est inférieur d'un kilomètre au moins à l'écluse d'Hyères, un autre prétend que les eaux viennent de Cuers, et de la Castille, mais il oublie de dire d'où viennent les eaux, qui après avoir mis en mouvement les roues hydrauliques de la minoterie de M. Aubert, se rendent à l'écluse et au canal d'Hyères. Nous devons faire disparaître toutes ces assertions erronées en invitant leurs auteurs à suivre nos explications, nous les convions même à venir avec nous en contrôler la véracité sur les lieux.
Débarrassons-nous d'abord des eaux de Cuers.
Cette ville a un faible cours d'eau au Nord près les dernières maisons, il s'appelle, je crois, Mayepan, il coule du nord-ouest au sud-est et va se jeter près le domaine de Sigaloux dans le Réal Martin (vallée de Sauvebonne), aucune espèce d'eau ne peut venir de ce côté à Solliès.
Reste le Petit Réal, torrent parfois terrible l'hiver, mais très pauvre en eau pendant l'été, car depuis la limite des terroirs de Cuers et de Solliès, jusqu'à l'écluse de Beaulieu, c'est-à-dire sur une étendue de plus de deux kilomètres, ce torrent est complètement à sec pendant l'été.
Nous voilà débarrassé des eaux de Cuers qui a le malheur d'en avoir bien peu pour les besoins de son agriculture.
Arrivons aux eaux de nos arrosages qui, seuls avec les eaux pluviales toutefois, alimentent l'écluse et le canal actuel de la ville d'Hyères ; on sait que cette écluse est établie au confluent du Gapeau et du Petit Réal, et qu'elle en dérive les eaux réunies dans le canal qui les amène à Hyères.
Quatre écluses principales dérivent les eaux de Gapeau, ce sont les suivantes : barrages mobiles de la Ferrage, grande écluse seigneuriale dite de Messieurs, écluse des Sauvans et enfin celle de la Garrejades; nous n'avons pas à nous occuper des neuf ou dix autres qui après la mise en jeu des usines rendent les eaux à la rivière.
Ces quatre écluses déversent toute l'année nuit et jour sur nos 411 hectares aux terroirs de Solliès-Pont, Solliès-Ville et Solliès-Farlède, possédées par 630 propriétaires, et même pendant l'hiver, les eaux dérivées de la rivière qui, répétons-le, sont bien insuffisantes l'été pour un arrosage régulier.
Peut-on se faire une juste idée de l'énorme masse d'eau qui se forme par infiltration à travers les anciens lits de Gapeau, les couches de gravier, et de terrains tout d'alluvion reposant partout sur une forte couche continue de roche, grès, étanche imperméable ; territoire encaissé à l'ouest par la rivière de Gapeau et à l'est par le Petit-Réal, dont la même roche gré forme invariablement les lits.
A cette masse d'eau répandue toute l'année nuit et jour, l'hiver comme l'été, ajoutons par la pensée l'appoint résultant des eaux pluviales, et l'on ne sera plus étonné si, en amont de nos arrosages, on ne trouve pas une source, d'en trouver de si nombreuses et de si abondantes qui, seules, nous ne saurions trop le répéter, alimentent le canal actuel de la ville d'Hyères.
Nous allons le prouver.
Suivons à l'est le Petit Réal dont le lit, sur un parcours de plus de deux kilomètres, est complètement à sec l'été jusqu'aux approches de l'écluse de Beaulieu.
Depuis cette écluse jusqu'à celle d'Hyères, on ne trouve aucune source sur la rive gauche, soit du côté des collines grès qui sont à l'est.
Elles sont au contraire nombreuses, abondantes, sur la rive droite et même à niveau du sol dans les plaines de Beaulieu, c'est-à-dire du côté de nos arrosages; et l'eau de toutes ces sources tombant dans le Petit-Réal va contribuer à alimenter le canal actuel de la ville d'Hyères.
Revenons à Gapeau; dans le rapide mémoire que je redigeai en quelques heures en 1858, j'ai dû me borner à combattre les prétentions de certains usagers du quartier de Guiran qui voulaient aussi nous dépouiller d'une partie de nos eaux et m'arrêter à l'écluse de la Garrejade.
Partons de cette écluse et même de Solliès, si l'on veut; sur la rive droite de Gapeau on ne trouve pas une source, bien que le quartier arrosant de la Ferrage soit de ce côté, mais le terrain, loin d'être terrain d'alluvion, est compacte et argileux.
En suivant cette rive droite jusqu'à l'écluse d'Hyères, on ne trouve non plus aucune source. Examinons maintenant la rive gauche de Gapeau :
Après l'écluse de la Garrejade, qui absorbe complètement pendant l'été le dernier filet d'eau qui reste à la rivière, on trouve à quelques dizaines de mètres l'écluse de Bassinet qui l'été ne dérive plus rien, aussi M. Escudier, pour sa fabrique d'huile, a-t-il eu recours à une machine à vapeur.
Depuis cette dernière écluse, comme on peut le voir sous le pont du hameau des Daix, le lit de Gapeau est complètement à sec pendant l'été.
D'où viennent les eaux, qui à la distance d'environ 2,500 mètres alimentent l'écluse de la Castille que M. Aubert a construite depuis quelques années, eaux qui concurremment avec les eaux de la Jonquiére, dont nous parlerons bientôt, vont mettre en mouvement la belle minoterie de M. Aubert?
Elles proviennent exclusivement des infiltrations souterraines de nos arrosages aux quartiers des Sauvans, Luquet et Penchier, de Sarraire-la-Tour et Cadouire, infiltrations qui seules peuvent produire les nombreuses sources qui se trouvent sur la rive gauche de Gapeau du côté de nos arrosages, et notamment les belles sources de Flayosc qui à elles seules font marcher le moulin à farine de ce nom (à m. Escudier).
Si on continue l'examen de cette rive gauche jusque peu après la fin des terres arrosables, on ne trouve plus- la moindre source, ni sur la rive gauche, ni sur la rive droite, n'est-ce pas là la confirmation complète de la démonstration, que les sources signalées sur la rive gauche de Gapeau ne proviennent absolument et exclusivement que des infiltrations de nos arrosages.
Si on veut une démonstration:plus complète, la voici :
Lorsqu'il y a environ 12 à 15 ans, de concert avec le quartier des Sauvans, nous fîmes encaisser de murs, le grand canal des Sauvans, large de 1m,60, qui avant sa division, traverse ma propriété au quartier de la Tour, il fallut nécessairement lever la vanne de décharge, arrêter toutes les eaux dérivées par l'écluse et les rejeter à la rivière.
Eh bien, peu après le commencement des travaux et tant que durèrent les travaux, les belles sources de Flayosc. ne débitèrent presque plus d'eau, tarirent pour ainsi dire vers la fin, de plus tous les puits des campagnes inférieures furent mis à sec, de là nombreuses plaintes de leurs propriétaires qui venaient souvent recommander d'accélérer les travaux..
Ces travaux finis, la vanne de décharge remise en place et les eaux, comme par le passé, répandues jour et nuit sur les prairies, les puits et les sources de Flayosc furent largement approvisionnés.
Donc évidemment toutes les sources qui sont sur la rive gauche de Gapeau ne peuvent aussi provenir que des infiltrations de nos arrosages.


La Jonquière.

Le vallon de la Jonquière est situé inférieurement et au centre de nos arrosages, et en moyenne à une égale distance à peu près du Petit-Réal et de Gapeau, dont ce vallon constituait l'ancien lit; en suivant sa direction depuis Solliès jusque près les terres de la Castille, on reconnaît facilement cet ancien lit (à la surélévation des terres à droite comme à gauche) dont les débordements anciens sont de plus attestés par la grande quantité de cailloux roulés, répandus sur les plaines occidentales de Beaulieu. Il n'y a guère plus de cent ans, cette vallée était, pendant l'hiver, un véritable marécage, des travaux d'épuisement l'ont assaini en réunissant les eaux d'infiltration dans divers canaux, dont quelques-uns ont près de trois mètres de largeur. Les sources y sont donc très abondantes, les eaux d'arrosage,
des vastes prairies de l'enclos et du château qui paraissent avoir été le commencement de l'ancien lit de la rivière , des quartiers des Terrins, des Laugiers, quartiers de la Tour, des Trois Pierres et la majeure partie de celui des Fillols, convergent souterrainement suivant les sinuosités de ce vallon, vers les campagnes Pellegrin et autres points inférieurs, et surtout vers le fond Dollieule où fourmillent les émergences presque à niveau du sol. Toutes ces diverses eaux réunies dans divers canaux de desséchement viennent enfin former, bien avant les terres de la Castille, le grand canal de la Jonquière qui,après avoir contribué au mouvement de la minoterie, va, par le canal de fuite, se rendre à Gapeau et par conséquent à l'écluse et au canal actuel de la ville d'Hyères.
Ainsi donc, il est incontestable que le cours du Petit-Réal, à partir de l'écluse de Beaulieu ; le cours de Gapeau à partir du hameau des Daix, le grand canal de la Jonquière et, par conséquent l'écluse et le canal de la ville d'Hyères, sont et ne peuvent être alimentés que par les infiltrations des arrosages surtout de Solliès-Pont et de Solliès-Ville.
Que nécessairement et forcément, si les projets du sieur Brun et de la ville d'Hyères pouvaient réussir à nous enlever, ne fut-ce qu'une partie de ces eaux d'arrosage, ce qui nous paraît improbable, moralement et légalement impossible, toute l'eau que l'entreprise enlèverait à nos arrosages manquerait à son écluse et à son canal actuel pour l'irrigation des terres arrosables de La Crau, des jardins et des prairies du terroir d'Hyères; qu'en dernier résultat le projet Brun,' s'il réussissait, mettrait tous les étés le canal d'Hyères à peu près à sec.
Et qu'en définitive la ville d'Hyères dépenserait des sommes énormes pour amener à Hyères des eaux qui y arrivent déjà sans frais, et dont elle doit bien se garder de diminuer le volume, même pour créer de nouvelles fontaines, pouvant trouver sur dix autres points des eaux excellentes, plus rapprochées et à bien moins de frais pour les alimenter, car enfin, elle doit la première donner l'exemple du respect pour les droits acquis à ceux de ses habitants qui par eux ou leurs devanciers ont la possession séculaire des eaux du canal actuel.

Toulon, le 21 avril 1872.

C. ARÈNE,
ancien avocat.


Copie de la pétition qui a été distribuée afin de faire barrage au projet du sieur BRUN et de la commune d'Hyères

 

Monsieur le Préfet,

Les soussignés, habitants de la commune d'Hyères, viennent protester contre le traité passé entre l'Administration municipale de cette ville et le sieur Brun, pour amener à Hyères une partie des eaux de la source Nègre des Toucas et d'une manière toute spéciale, contre la clause de ce traité abandonnant au sieur Brun la direction de la source de la Vierge qui alimente actuellement les fontaines de la ville.
Il est incontestable que la ville d'Hyères a besoin de se procurer pour deux ou trois mois d'été même au prix de quelques sacrifices), une quantité d'eau suffisante pour alimenter ses fontaines et nettoyer ses rues, mais ce sacrifice doit être limité et proportionné aux ressources de la ville, et sans aucun doute, si la question était sérieusement étudiée, on pourrait obtenir le résultat que l'on désire, sans exposer la ville à une dépense minima de 300 francs par jour pour cette période.
Dans une affaire de cette importance, il y a lieu de considérer, Monsieur le Préfet., que plus de la moitié des habitants de la commune d'Hyères est disséminée dans les nombreuses sections dont elle se compose, La Londe, Les Salins, Borrel, Sauvebonne, Les Pesquiers, Giens, Carqueiranne, Iles du Levant, de Port-Cros et de Porquerolles et les jardins, de sorte que l'on ne peut guère évaluer à plus de 3000 les habitants qui profiteraient des avantages de l'entreprise.
Au point de vue financier :
La ville d'Hyères n'a d'autres ressources que l'impôt :Octroi, centimes additionnels, etc.
Son budget se solde chaque année en déficit.
Elle sollicite actuellement un emprunt de 50000 francs pour payer son découvert et il est certain que cette somme sera insuffisante.
Bientôt elle sera forcée de recourir de nouveau au crédit pour faire face à des dépenses obligatoires, notamment le transfèrement du cimetière, la rectification de la route nationale de Saint-Tropez, la réparation de l'écluse de son canal, etc.
Les ressources de son octroi sont engagées au profit de la caisse des dépôts et consignations pour éteindre la dette résultant de l'achat des moulins et de la banalité. Cette charge pesant sur toute la commune, l'octroi actuel est sans rayon, mais en admettant qu'à l'expiration du délai de dix ans pour lequel cet octroi a été autorisé une prorogation soit accordée, il est certain que l'octroi sera limité à la ville d'Hyères et ne frappera plus ses nombreuses sections, il faut donc compter de ce chef sur une diminution d'un quart peut-être même d'un tiers dans les produits actuels de l'octroi.
Comment dans cette situation, l'Administration municipale peut-elle songer à inscrire à son budget, même éventuellement une charge de 50000 francs au moins par an ?
En l'état, les soussignés demandent respectueusement à l'autorité supérieure : A ce que l'affaire soit étudiée d'une manière sérieuse au point de vue des intérêts de la ville.
Et à ce que la garantie de la ville soit limitée à une somme fixe en rapport avec la quantité d'eau dont elle a besoin et les ressources dont elle peut disposer, sans engager la ville dans une opération. industrielle dont on ne peut prévoir les résultats et qui pourrait compromettre ses finances.
Persuadés que vous prendrez dans cette affaire la défense des intérêts de la commune d'Hyères, les soussignés vous prient d'agréer, Monsieur le Préfet, avec leurs .remercîments l'assurance de leur considération très distinguée.